Le transhumanisme inspire le roman d’une jeune écrivaine
2016-06-11 | Maroc
Dans notre rubrique Culture, nous avons reçu cette fois, Salma El Malki, une jeune écrivaine dont le Roman « Insight » sera bientôt édité.
Flm : Pouvez-vous nous présenter votre nouveau roman ?
Salma El Malki : J'ai 24 ans et je suis une jeune diplômée de l'ISCAE Casablanca. Je me suis éprise de l'écriture à un jeune âge grâce à mes parents en partie. Je suis toujours à la recherche de la prochaine histoire qui me fera découvrir un nouveau monde ou une nouvelle vision et peu à peu cette passion pour la lecture s'est transformée en un besoin d'écriture. Un moyen pour moi de transmettre une idée mais surtout de poser des questions et d'en demander les réponses : qu'elles viennent de moi ou d'autrui. Dans mon dernier roman, INSIGHT ou l'homme dénaturé, je dresse les fondations d'une société transformée par l'âge de l'innovation, créant une rupture ainsi que des inégalités sur le plan du savoir : l'argent n'a jamais été la source du pouvoir, seule l'information compte. Et les données (datas) sont à ce nouveau monde ce que le charbon est à la révolution industrielle : un catalyseur. INSIGHT est une allégorie pour parler de la mémoire du monde et de son histoire. Une traduction littérale de "si les murs pouvaient parler" ils raconteraient l'homme mieux que lui-même ne s'est jamais raconté. Enfin, c’est aussi un hommage pour mon grand-père, mort de la maladie d’Alzheimer. Il est mort d’oubli alors qu’INSIGHT survit grâce à une mémoire sans limite.
Flm : Comment vous avez eu cette inspiration ?
SM : Penser l'homme, réfléchir l'être et fabriquer sa condition. L'homme du possible est celui qui voit sa condition au-delà de ses limites physique. C'est un homme qui décide de sa méta genèse, le renouveau de son existence au travers de sa réflexion. Comme un enfant, il ne connaît pas ses limites, ou plutôt les ignore au profit de son évolution. Dans son roman l'homme sans qualité, Robert Musil définissait déjà son protagoniste comme tel, un mathématicien déraciné du réel et qui idéalise le possible:
« Mais s’il y a un sens du réel, et personne ne doutera qu’il ait son droit à l’existence, il doit bien y avoir quelque chose que l’on pourrait appeler le sens du possible. L’homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose ; et quand on lui dit d’une chose qu’elle est comme elle est, il pense qu’elle pourrait aussi bien être autre. Ainsi pourrait-on définir simplement le sens du possible comme la faculté de penser tout ce qui pourrait être « aussi bien », et de ne pas accorder plus d’importance à ce qui est qu'à ce qui n’est pas. On voit que les conséquences de cette disposition créatrice peuvent être remarquables ; »
Cette caractérisation de l'homme visionnaire est en effet ce qui fait, à mon avis, la force créatrice des magnats 2.0 ou ces hommes qui ont su rêver (et concrétiser?) Un monde dématérialisé. Cette typologie d'Hommes et celle qui perçoit la réalité de ce qui pourrait être et la trivialité de ce qui est: c'est à dire que ce sont des personnes qui ne vont pas se contenter de subir le monde tel qu'il est mais tenteront constamment de le redéfinir tel qu'il devrait être. L’un de ces pionniers a décidé de voir le monde autrement : Le généticien J.B.S Haldane n’a été ni le premier ni le dernier à soulever l’idée du transhumanisme, mais ses travaux ont été les plus prolifiques. Bien que la notion de transhumanisme remonte à la renaissance (vous vous souvenez certainement de ce cours d’histoire sur cette époque où l’homme devient le centre de son univers), ce n’est qu’en 1923 que Haldane en expose les caractéristiques et en donne un semblant de définition.
Flm : Quid du du transhumanisme ?
SM : Eh bien imaginez, à une période où l’on venait de découvrir le séquençage ADN, vers les années 70, ou encore l’étendu de la programmation informatique et le potentiel applicatif des algorithmes, ce qui se passe dans la tête de ces hommes du possible. Ces visionnaires pressentaient dès lors les multiples usages de telles inventions : l’E-volution est en marche. Les implants bioniques, l’optimisation de l’intelligence humaine, l’extension de l’espérance de la vie, sont autant de sujets qui furent peu à peu sorti du domaine de la science-fiction pour rejoindre la réalité. Aldous Huxley parle d’un homme éprouvette dans son meilleur des mondes, un homme fabriqué à la chaîne vivant au cœur d’une utopie futuriste dont Thomas More lui-même aurait été fier. Au même moment, Julian Huxley, frère du premier, ancre la vision de son cadet en utilisant le terme « transhumanisme ». Le fait est que Julian, bien qu’étant un généticien (un de plus !) de renom, avait une perception étriquée d’un mouvement beaucoup plus vaste : il apparente ainsi la notion de transhumanisme à une forme d’ « eugénisme ».
L’eugénisme est cette politique d’épuration privilégiant la qualité à la quantité. La qualité de l’Homme à la quantité. En d’autres termes, l’eugénisme prône une sélection forcée d’une « race forte ». Mais il faut comprendre que Julian ne parlait pas d’éliminer la partie défectueuse de l’humanité (au contraire d’une certaine politique Nazie durant la seconde guerre mondiale), en tant que généticien, il voulait l’améliorer. On parlait alors d’un « eugénisme de gauche ». La vision de Julian, exprimée en 1939 sous la forme d’un manifeste des généticiens, reste pourtant assez étriquée et ne réalise pas tout à fait le potentiel transhumaniste. Il faut attendre les 80 pour avoir enfin une définition plus explicite.
Flm : Mais qu’est-ce que le transhumanisme moderne ?
SM : Kurzweil, Minsky, FM-2030 (oui c’est bien un nom) sont plus que des piliers de l’intelligence artificielle, ils ont aussi pensé la relation entre le biologique et l’artificiel, entre l’homme et la machine. Leur apport est allé au-delà du présent et s’inscrit dans l’intemporalité des idées révolutionnaires. FM-2030 disait déjà « Je suis un homme du 21ème siècle accidentellement lâché dans le 20ème. J'ai une profonde nostalgie du futur. » Ces futurologues ont tous un point en commun : celui de vouloir redéfinir l’Homme tel que nous le connaissons. Et pour redéfinir l’humanité, il faut la voir sous un autre jour, il faut la voir dans son interaction avec un environnement en constante évolution. La question sempiternelle de savoir si la nature humaine est innée ou est-elle définie par son environnement, trouve un semblant de réponse dans la vision transhumaniste : l’homme vit en symbiose avec son entourage et influence autant qu’il est influencé. Pour en revenir au cœur du sujet, le transhumanisme peut être défini comme suit :
« Le mouvement culturel et intellectuel qui affirme qu'il est possible et désirable d'améliorer fondamentalement la condition humaine par l'usage de la raison, en particulier en développant et diffusant largement les techniques visant à éliminer le vieillissement et à améliorer de manière significative les capacités intellectuelles, physiques et psychologies de l'être humain. »
Cette acception du mot a été présentée par la World Transhumanist Association crée en 1998 par deux philosophes Nick Bostrom et David Pearce visant à la promotion du mouvement transhumaniste. L’organisation ayant pour but essentiellement de démocratiser les pratiques menant à l’amélioration de l’humanité au niveau biologique et morale tout autant. C’est dans ce sens, qu’en 2006, ils adoptent une autre dénomination « Humanity + » Plus connue sous le sigle H+. Au-delà de l’association, il reste un fait que le transhumanisme n’est plus que la vision délurée d’une poignée de savants fous élitiste. Au contraire, ce qui commençait comme un rêve pour certains futurologues, est en train de se muer en réalité à une vitesse exponentielle. Les extensions bioniques peuvent maintenant être développées grâce à des imprimantes en 3D et les exosquelettes ne sont plus l’exclusivité de la DARPA. Notre conception de l’humain accompagne ces changements inéluctables et bientôt il nous faudra rejoindre l’E-volution.
Flm : Et « INSIGHT » dans tout ça ?
SM : Pour participer récemment à un concours de littérature télévisé, j’ai pensé à donner un sous-titre à « INSIGHT » : l’homme dénaturé. Pourquoi ce choix ? Tout simplement pour souligner une problématique fondamentale : est-ce que l’homme augmenté est toujours un homo-sapiens ? Tout au long du roman, j’ai essayé de répondre à cette question à travers les voix des différents personnages. Entre conservateurs et scientifiques investis d’une mission ultime, j’essaye de confronter des points de vue diamétralement opposés et de les présenter au lecteur avec une seule visée : Et si un système hypermnésique comme INSIGHT était une réalité ? Quelle sera votre réaction ? Qu’est-ce que vous pensez de l’éthique des sciences est-ce un frein ou un mal nécessaire ? la persistance de la mémoire est-elle la source de notre personnalité ? A travers le développement de l’intrigue je ne prétends pourtant pas répondre à ces questionnements, juste exposer des faits et laisser le soin au lecteur de se forger sa propre opinion.
Que nous le voulions ou non, nous allons finir par transposer nos vies en ligne: je ne parle pas d'un alter ego, non nous allons peu à peu dématérialiser notre personnalité. Dans le meilleur des cas, nous vivrons en symbiose avec cette technologie dans le pire des cas elle nous absorbera. Mais dans l'un ou l'autre scénario il faut être prêt à vivre dans un monde où la singularité deviendra peu à peu la règle. Je ne parle pas d'un futur lointain et le monde de demain se profile aujourd'hui. Je crois qu'il faut le penser avant qu'il ne s'impose. S'imposer dans le sens où la technologie suit déjà son cours, un cours que nous nous devons de cerner et corriger au fur et à mesure, un cours qu'il faut savoir contenir et maîtriser.
Flm : Un mot de la fin ?
SM : Pour finir, voici un petit résumé d’INSIGHT ou l’homme dénaturé qui, j’espère, vous donnera envie d’en lire plus :
Quand Isaac Stern décide d’inventer INSIGHT, il engendre une rupture avec le monde tel que nous le connaissons. Il vient de mettre en place une infrastructure permettant de retrouver le Saint Graal des temps modernes : le web sémantique. Un réseau qui puisse rassembler toutes les données de ses utilisateurs, que non seulement il stocke, mais aussi « comprend ». INSIGHT génère alors des « assistants personnels » capables d’exploiter ses informations et de subvenir au moindre besoin de leurs possesseurs. Mais les choses se compliquent au moment où le premier membre de l’équipe impliqué dans le projet est assassiné en laissant derrière lui un message à l’adresse de Stern : un miroir ! S’ensuit alors une course à travers un labyrinthe d’indices et de corps pour trouver l’ultime secret et survivre.